Balade en Galice

Texte tiré de « VIA COMPOSTELA, Des Monts du Velay à la Costa da Morte », mars 2015.

« …El Camino emprunte un sous-bois de feuillus jusqu’à Brea et la fameuse borne des cent derniers kilomètres ! Couvert de graffitis multicolores et couronné d’une paire de chaussures hors d’usage, le bloc de béton est érigé au bord du chemin. Nous faisons halte pour une séance de photos. Jean-Marc et moi ôtons nos casquettes afin que nos visages barbus de deux jours, mais rayonnants, soient néanmoins à notre avantage. Afin que le souvenir perdure, ce sont les photos de deux hommes en ponchos, cheveux plaqués sur le crâne par la sueur et aux sourires figés, qui orneront nos albums. En face de la borne, un écrit sur une pierre attire mon attention. Le texte partiellement effacé indique : « Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». Je lis et relis plusieurs fois cette phrase qui bientôt me fascine. Son sens peut s’appliquer à notre aventure depuis que nous sommes partis du Puy-en-Velay. Inscrite là, je la ressens comme si elle était mienne, issue du plus profond de mon être. L’ambiguïté paradoxale du texte me porte à penser qu’il s’agit d’une citation. Qui en est l’auteur ? J’interroge Jean-Marc. Il est de mon avis, mais ignore aussi qui en est l’auteur. Tout en marchant, je songe à cette phrase sublime dont les mots se répètent en boucle dans ma tête jusqu’à l’obsession. J’imagine des scènes avec au moins deux personnages, dans une situation périlleuse, et qui seraient contraints à une action réputée impossible pour sauver leur peau. Ils la tentent et réussissent ! Merveilleux final, mais de qui ? Dans mes souvenirs de lecture, je cherche une action qui correspondait à la situation. Soudain, surgissent Tom Sawyer entouré de ses amis Huckleberry Finn et Joe Harpper[1]. Se tenant debout tant bien que mal sur un radeau de fortune en perdition près de l’île Jackson, ils sont emportés par les rapides tumultueux du Mississippi pour enfin accoster, exténués mais sains et saufs, sur une berge vaseuse ! J’ai vérifié dès mon retour… L’épisode de la traversée du Mississippi en radeau vers l’île Jackson est bel et bien décrit dans « Les aventures de Tom Sawyer ». Cependant, la scène est moins scabreuse que je ne le pensais. Néanmoins, si la paternité de la citation semble lui être attribuée, en revanche aucune trace de cette phrase dans cet ouvrage de Mark Twain. Qu’importe, pour moi ses mots exaltaient encore davantage ma volonté d’aboutir… »

José CASATEJADA


[1] « Les aventures de Tom Sawyer » – Mark Twain – Gallimard Jeunesse – Paris, 2008.